Six ans en mer

(article paru dans le quotidien La Presse, en octobre 1992)

 

Notre voilier a toujours fait rêver. Sa coque d'acier, son gréement sophistiqué, sa silhouette basse et trapue et ses quelques 20 tonnes en font une bête puissante capable de vous emmener très, très loin.

Nous n'étions pas partis que déjà les curieux sur le quai l'imaginaient chevauchant les mers démontées du globe à la recherche de l'île ou du continent où la vie serait, disons, différente.

Voilà maintenant que le même bateau revient se coller à son quai, six ans plus tard, avec des marques sur sa peinture, quelques blessures au haubannage, mais l'essentiel, lui, est intact. C'est son équipage de six personnes dont 4 enfants qui s'affairent sur le pont. Les pare-battages sont en place, les amarres prêtes à être lancées. La maman est à la barre et fait son approche finale au moteur. Arrière toute. La V'limeuse est stoppée et les lignes s'envolent vers le quai. Coup parfait d'Évangéline qui devait lancer loin et haut. Un peu plus et elle attrapait le type venu attraper le cordage.

Plus on revient de loin, plus dramatiques sont les expériences qu'on nous prête. La télévision habitue tellement le public au spectaculaire que...

"Pas eu de problèmes? Avez-vous frappé de grosses tempêtes? Hé, les enfants, vous avez dû en voir des affaires... et, au fait, comment faisiez-vous pour l'école?..."

Désolés, mesdames et messieurs, pas de sensationnalisme. Nous ne nous sommes pas échoués sur un récif coralien dans l'archipel des Tuamotu, aucun ouragan qui n'ait arraché les mâts et pas l'ombre même d'un pirate alors que nous peinions dans les calmes au large de Sumatra...

Alors, qu'y a-t-il de passionnant, de surprenant, d'intéressant dans notre voyage? Qu'en retiendrez-vous? Que raconterez-vous à vos collègues de bureau demain matin? Eh bien, peut-être la simple nouvelle de notre réussite. La preuve qu'une telle aventure est possible en famille.

Après six années de vagabondage sur les trois océans et plus de 80 levers de rideau sur îles, pays ou continents avec, entre chaque escale, la mer-intermède, que rapportons-nous?

Toute la beauté du monde. Mais celle perçue dans sa réalité propre et non à travers le petit écran.

Une impression double de découverte des lieux et peuples de la Terre, cela va de soi, mais aussi de nous, loin de nous douter que notre vie de famille allait être à ce point valorisante à l'échelle de la planète.

Nous rapportons d'étonnantes histoires, des amitiés fortes, des leçons humiliantes de fraternité, pour nous les "accueillants" Québécois, et l'impression de nous être envolés alors que nos oisillons prenaient leurs premières leçons de vie. Plus tard, tout aurait été différent.

La boucle est bouclée et nous éprouvons la satisfaction d'un voyage sans faute qui nous a permis de ramener navire et équipage à bon port. Si c'était un rêve, et bien il est dorénavant dans notre poche, converti en richesse que nous voulons partager avec tous, y compris ceux qui voudraient aussi partir un jour.

Aurions-nous continuer à blâmer la société pour tous nos maux et frustrations que jamais, par un beau matin d'octobre, nous n'aurions mis le cap sur le monde. Aujourd'hui, pour fêter l'heureux dénouement de notre belle aventure, soyez bienvenus à bord pour quelques étapes importantes de ce voyage.

 

1ère année: octobre 1986 à octobre 1987  

Montréal - Tahiti: 12 000 milles nautiques.

 

Montréal, 11 octobre 1986. Une journée comme les autres et sur laquelle nous n'aurions pas parié notre vieille chemise si elle était allée courir à Blue Bonnet. Mais elle est devenue pour nous aussi importante que celle du premier homme sur la lune depuis qu'elle s'est présentée à la ligne de départ.

Évangéline vient d'avoir 11 ans, Damien a 7 ans, Noémie et Sandrine ont 5 ans. Amarinés par déjà plus de 10 000 milles nautiques, c'est loin d'être pour eux un premier départ mais ce sera la plus longue scéance d'apprentissage entre deux bancs d'école.

Cette première étape de navigation qui nous conduit de Montréal à Tahiti en moins d'un an fut sans contredit la plus longue en distance. Nous reprenions la mer avec une sorte de rage. Les premiers contacts avec l'Atlantique Nord en novembre nous le rendirent bien. Le vieux Charles, 70 ans, dégoûté par une cavalcade par 45 noeuds de vent dans le Golfe, sauta dans le train et rentra à Montréal. Il voulait voir du cocotier. Malheureusement, il n'en poussait pas au Cap Breton. Onze jours plus tard nous abordions les Açores. Un équipier avait débarqué, un autre le remplaçait. Bernard, que nous dépannions entre deux îles, ne mettra son sac à terre que six mois plus tard à Panama. Comme quoi, les vagues se suivent mais les équipiers ne se ressemblent pas.

En ralliant Madère et les Canaries dans les semaines qui suivirent, nous nous mettions en position de descente vers les Antilles. Après les fluctuations de la météo plus au nord, c'était s'abandonner maintenant à la douceur des Alizés, à leur régularité qui façonne la vie à bord en mille petites occupations.

Les Antilles que nous connaissions déjà, ainsi que l'escale à l'île Margarita au Vénézuela, fûrent davantage des arrêts techniques en ravitaillement que des visites approfondies. Les denrées alimentaires et le carburant diesel, nous disait-on, allait être cher en Polynésie française. Ça tombait bien. Le bolivar vénézuelien venait de dégringoler et la canette de bière à 25 cents allait être une source d'appoint pour la longue traversée du Pacifique.

C'est aux îles Galapagos, raliées 10 jours après Panama, que commença véritablement pour nous l'exotisme du voyage. À ce plaisir s'en ajoutait un nouveau. Celui de se retrouver uniquement en famille. Même si l'expérience de prendre des équipiers avait été concluante, elle ne serait renouvelée qu'au départ d'Afrique du Sud, 5 ans plus tard.

Nous allions passer un mois dans cet archipel, un endroit unique au monde, mais malheureusement en train de devenir un parc-safari policé par les militaires de l'Équateur et réglé sur l'économie du tourisme de masse. Après avoir connu quelques moments privilégiés, comme la baignade avec les phoques, notre séjour se détériora en d'interminables palabres avec les autorités qui voulaient nous imposer un guide à 40$ par jour, tout ça pour nous expliquer la théorie de Darwin.

3 200 milles plus à l'ouest, les Marquises allaient être le portail de ce paradis fascinant devenu légendaire par les peintures de Gauguin et, plus près de nous, les chansons de Jacques Brel. La traversée que nous venions de vivre n'était pas étrangère au trouble ressenti devant la grandiose beauté de ces îles. Notre regard qui pendant 26 jours s'était coulé paisiblement au gré des horizons lointains s'envolait du coup vers les sommets de ces vertes cathédrales qui se nommaient Ua-Uka, Hiva-Oa, Fatu-Iva (le u se prononce ou). Nous avions l'impression d'être arrivés très loin, propulsés par ce long élastique de la navigation à voile, dans une ère ou le temps ne décolle pas encore en Boeing.

Les insulaires qui depuis des temps ancestraux ont développé l'art du troc, pêchent un peu par excès aujourd'hui en voyant arriver un bateau. Il faut dire que le passage des yachtmen de la côte ouest américaine et leur générosité débordante a quelque peu déclenché leur appétit. Le visiteur qui autrefois recevait un collier de fleurs à son arrivée, se fait maintenant demander gentiment s'il possède une arme et des munitions. J'ai fait l'erreur de dire oui et à trop de personnes à la fois. Dans ces montagnes escarpées où les chèvres et les cochons sauvages se chassent encore avec des meutes de chiens et des lances, la convoitise devant mon arme à feu déclencha des rivalités entre deux clans. Devant partir à la chasse avec un groupe, je fus littéralement kidnappé, à mon insu, par l'autre et disparu quelques jours dans les montagnes. Dominique et les enfants n'en menaient pas large dans la petite bourgade de Baie des Vierges, à Fatu-Iva, où les rumeurs les plus folles circulaient au sujet de mon enlèvement.

Pour faire une histoire courte, disons que je n'étais pas de taille avec le tour de cuisse de ces grimpeurs et leur tempérament d'anciens guerriers. N'ayant d'autre choix que de suivre ou d'être laissé derrière, j'ai bien failli comme Gauguin ou Brel avoir ma tombe aux Marquises. Jamais je n'avais vu de tels casse-cous négocier les crevasses, falaises et corniches avec du gibier de 50 kilos sur les épaules. Qu'espéraient-ils de moi en me demandant d'en faire autant? Je revins "à moitié-mort" et si je n'avais gagné leur admiration, une jeune chienne de la meute qui m'avait pris en affection vint se joindre à la famille. Les enfants l'appelèrent Fatu...

 

2e année: octobre 87 à octobre 88  

Tahiti- Nouvelle-Calédonie: 2 600 milles nautiques.

 

Six personnes, le pouce tendu sur le bord d'une route. Scène inusitée mais combien familière pour nous. Il serait impossible de tous monter dans une Renault 5 mais dans les îles Sous-le-Vent, la camionnette Peugeot, bâchée ou non, devenait le véhicule sauveteur. Comme cela nous convenait bien d'avoir un budget serré et d'être dépendants des autres! Ce fût toujours pour nous la meilleur façon de lier contact avec une population. Cette fois les Tahitiens en avait beaucoup à dire sur les Français et se confiaient facilement à des Québécois.

C'est la saison des cyclones dans l'hémisphère sud, entre décembre et avril. Nous goûtons la transparence des lagons et c'est l'occasion d'un bon bain de francophonie. Excellent pour la langue et Papeete est l'endroit idéal pour le renouvellement du matériel scolaire pour les enfants. Le mythe de Tahiti est fini depuis longtemps. L'industrie du tourisme cherche à le relancer sans grand succès. Depuis la base atomique de Mururoa, le malaise de la population est directement proportionel à l'argent injecté par le gouvernement français.

Repartir après une longue escale est toujours difficile. L'arrêt prolongé nous enracine. Il faut donc s'arracher mais c'est à ce seul prix qu'un voyage se réussit. Cette fois, les alizés ont bel et bien disparu. De Tahiti à l'Australie, s'en sera terminé des navigations paisibles et nous retrouverons les anxiétés du mauvais temps.

Aux Tonga, le vent souffle fort et certains mouillages réputés pour la plongée sont impraticables. Nous préférons marcher d'un village à l'autre au milieu des basses-cours de cochonnets, pratiquant nos quelques mots d'usage courant avec des Tonguiens nettement plus souriants que leurs cousins maoris de Tahiti. Ce chapelet d'îles basses, moins spectaculaire que les archipels de la Polynésie française, a sans doute échappé à la convoitise des conquérants et aujourd'hui la population s'en porte mieux.

Nous approchons l'archipel des Fidji. Devant nous, deux choix possibles jusqu'à Suva, la capitale. Soit la route sud pour contourner les centaines d'îles, ilôts et récifs, soit la navigation à haut-risque qui fait passer à travers cet imbroglio de dangers à fleur d'eau. Le jeu en vaut-il la chandelle? Car l'île convoitée est superbement défendue. En pleine nuit, nous commençons à nous faufiler parmi les échos que nous renvoit le radar. Nous distinguons bien les îles, leur distance, mais les récifs qui les bordent souvent très loin peuvent échapper à la vigilance de l'électronique. Trop risqué! Demi-tour! Il faut capayer quelques heures jusqu'au lever du jour. Voilà l'île de Komo: 150 personnes et quelques kilomètres de tour. Le roi de l'île nous reçoit. Un interprète explique que nous sollicitons sa gratitude le temps d'un arrêt pour réparer. Personne n'est dupe de notre histoire mais il faut jouer le jeu. L'arrêt ici n'est permis qu'avec une autorisation spéciale venant de la capitale. Nous passerons notre séjour dans cette grande famille, à chasser le poisson, à accepter trois ou quatre repas à la fois parce que tous sont curieux, tous veulent connaître une famille qui vient de loin.

Nous quittons Komo avec un gros cochon sur le pont et plein de paniers d'ignames. Un habitant de l'île marie sa fille à Suva. C'est la V'limeuse qui sert de limousine au père, à la fille et à ses offrandes au mari. Tous sont malades en mer y compris le cochon. L'odeur de notre arrivée précède la nouvelle. Ce fût un beau mariage!

Nouvelle-Calédonie. Ex-colonie pénitencière. L'un des territoires les plus éloignés et négligés de la France. Les pionners français des années de colonisation (Caldoches) n'ont pas fini d'en découdre avec la population autochtone (Canaques). Des bains de sang sur fond plage de sable blanc et lagon turquoise. Les plaies sont encore ouvertes quand nous y passons. Le massacre à Ouvéa de 18 terroristres canaques fût une belle revanche pour les commandos français, les humiliés de l'Indochine des années 50.

En dépit des avertissements sur les dangers de visiter l'intérieur de l'île en période de crise, nous y allons en espérant qu'une fois de plus l'image de la famille servira de passeport. Le médecin coopérant qui nous prête sa Citröen 2CV, ne se doutait pas que l'un des plus populaires leaders révolutionnaires de l'île en possède une tout à fait identique. Il porte aussi la barbe et comment savoir que Carl lui ressemble au point d'être salué en héros à chaque village que nous traversons.

 

 

3e année: octobre 1988 - octobre 1989  

Nouvelle-Calédonie - Bali: 4 600 milles nautiques

 

Le monde est trop vaste pour en faire une seule bouchée. La Nouvelle-Zélande est laissée sur bâbord et nous fonçons en ce début d'été austral vers le cinquième continent. L'Australie, en effet, nous semble en avoir plus à revendre pour notre jeune auditoire: kangourous, koalas, boomerangs, cowboys en Cessna qui patrouillent des ranchs trois fois grands comme l'île de Montréal, sans compter les surfers téméraires qui s'en tirent parfois avec un bout de leur planche dans l'estomac du requin blanc.

Et puis il y a Sydney, la belle, la ville par excellence des baies et des bateaux. À Noël et au Jour de l'An tout se passe sur l'eau. La population entière embarque sur tout ce qui peut flotter et s'envoie en l'air de façon magistrale.

"Voyez-vous, les enfants, expliquons-nous, le voyageur respectueux doit toujours se plier aux coutumes locales... hic!" À la troisième bouteille de champagne (pas cher et pas vilain), la navigatrice et le skipper donnent joyeusement de la bande et piquent du nez dans l'assiette du réveillon de minuit. Pauvres petits orphelins! Ils durent se rabattre dans la lecture de Tintin et du capitaine Haddock. Ivrogne, lui aussi, mais drôle au moins.

Ces Australiens bon vivants, pas compliqués du tout et un brin tapageurs, célèbrent à la moindre occasion leur appartenance à cette île éloignée, en marge du reste du monde et dont ils définissent la position géographique et l'isolement culturel en deux mots bien sonnants: Down Under. En québécois: loin et creux! Ceci dit sans méchanceté aucune, même si parfois ils abusent nettement de superlatifs pour vanter tout ce qu'ils font ou offrent aux visiteurs. Le biggest et le most des USA, longtemps leur modèle, leur est resté un peu sur l'estomac.

Le pays est immense. Trop pour se confiner seulement à naviguer le long de ses côtes. Le fabricant japonais Toyota nous fait une offre. Notre périple à voile a séduit. Ce sera pour la firme l'occasion de faire voir aux quatre points cardinaux son dernier modèle minibus. Et pour nous de parcourir plus de 20 000 km en accordant quelques entrevues au passage à la presse locale sur les bienfaits de la vie en mer et "le type de voiture que nous apprécions aux escales". Morts de rire, mais le commanditaire y trouve son compte et c'est marché conclu.

Pendant deux mois, l'Australie défile derrière le pare-brise comme, au cinéma, une bande d'actualités qui nous matraque d'images et d'informations. C'est un plaisir que nous goûtons particulièrement, celui d'avaler goulûment de l'asphalte après avoir mangé de l'écoute pendant deux ans. Les enfants qui s'amusent d'abord à compter les kangourous écrasés le long des routes passent à des constatations plus sérieuses à mesure que nous pénétrons dans les régions éloignées du centre et du nord-ouest. Nous sommes maintenant en plein désert, au coeur du territoire aborigène: une foudroyante prise de contact avec la genèse du monde, empreinte dans le faciès de ces hommes et femmes sortis de 50 000 ans de survie dans le plus terrifiant milieu que nous ayons connu. Une fournaise à ciel ouvert. Comment ces êtres qui ont portés tout le poids de la création et ont survécu, en sont-ils arrivés à endurer aujourd'hui, par le sort qui leur est réservé, toute l'indifférence de la terre?

De retour au bateau, l'école du bord déménage ses quartiers au coeur de l'iimmense bibliothèque moderne de Sydney. Professeur et élèves se plongent alors dans la rédaction de travaux sur le pays. Après nos deux mois de passionnantes observations "sur le terrain", nous ne sommes plus très loin de la mise en pages. Encore quelques visites de musée, visionnement de vidéos dont la qualité de production est remarquable, achat et découpage de magazines pour illustrer le tout... et les réponses à nos questions sont là, parfois incroyables. Sandrine, qui cherchait ce que les Aborigènes pouvaient bien manger en plein coeur du désert en trouve pour son compte: des gros vers blancs au goût de noisette et des fourmis à l'abdomen démesuré, rempli de miel! Ces travaus sont leur orgueil. Le moyen idéal pour eux de rassembler dessins, photos et textes qui rcontent leur voyage et qu'ils garderont précieusement.

Par 34 degrés sud, les feuilles mortes s'entassent déjà au mois de juin et Sydney nous rappelle tout à coup Montréal, avec l'hiver à ses portes. Comme les écureuils à l'automne, nous entassons pour plusieurs mois de provisions sus les banquettes de la V'limeuse, mais nous échapperons au froid en remontant vers l'équateur.

La Grande Barrière de Corail est bien loin de ce que l'on peut s'imaginer. Les fameux récifs sont parfois à plus de 200 milles de la côte. Un plan d'eau abrité qui, sur plus de 1200 milles, est jalonné d'autant d'îles et d'abris. Cette navigation de jour nous plaît. Un rythme différent de celui des longues traversées. Des départs sous voile tôt le matin et des arrivées toutes aussi silencieuses à la brunante, une cinquantaine de milles plus au nord. Les enfants choisissent leurs mouillages selon des critères gastronomiques. Les fonds de 10-11 mètres, disent-ils, sont meilleurs pour la pêche et comme chaque soir ils alignent la friture sur la table, nous nous devons d'être conciliants.

Les matelots ont bien vieilli depuis deux ans et c'est lors de manoeuvres de spi par 25 à 30 noeuds de vent que leur métamorphose nous saute aux yeux. Dorénavant, ceux qui veulent régater avec la V'limeuse n'ont qu'à bien se tenir...

Nous sommes partis un peu tard du nord de l'Australie. Les vents réguliers étaient à la fin septembre très légers et, après quelques jours de voile, tout à fait inexistants. Mer d'Arafura et de Timor sont synonymes pour nous maintenant d'une vaste pellicule d'eau plate, immobile et transparente que nous découpions un peu chaque jour au moteur. Un aquarium de serpents et de requins qui déclencha l'opération alerte quand les parents plongèrent pour nettoyer l'hélice. C'était comme à l'usine: démarrage vers 9h du matin et arrêt de l'engin vers 16h. Cela pendant 20 jours. Un peu plus et chacun rentrait chez soi après l'ouvrage s'il n'y avait eu les cours du soir en observation des étoiles.

Plus d'eau, plus de fuel, il y avait Bali sur le travers. Un million de touristes par an sur cette île-timbre-poste. Tiens! Si on allait voir les dégâts.

 

 4e année: octobre 1989 - octobre 1990

Bali - Madagascar: 5 600 milles nautiques

 

La réputation de l'océan Indien n'est plus à faire. On pourrait le comparer à une marmite dans laquelle le potage est toujours agité. Les vagues semblent venir de partout à la fois. Certaines houles voyagent depuis de lointaines dépressions d'Antarctique pour venir croiser dans un beau chaos les vagues plus locales. Pour cette raison, la plupart des bateaux se dirigeant vers l'Afrique du Sud le traverse en respirant un grand coup et en coupant au plus court. Mais nous n'avions plus guère le temps de fuir vers le Cap de Bonne Espérance avant les premiers cyclones. Restait l'autre solution: changer d'hémisphère.

Plus qu'une simple ligne de référence sur la carte, l'équateur sert de frontière entre deux régimes de vents opposés. En sautant la clôture, nous échapperions à la mauvaise saison. Vite dit, mais loin d'être fait. La zone qui s'étend sur plusieurs centaines de milles de bord et d'autre de la latitude 0 degré est communément appellée "pot au noir". Est-ce à cause de la couleur de ces énormes cumulo-nimbus de plusieurs kilomètres de hauteur et de diamètre, où le vent souffle à plus de 40 noeuds mais entre lesquels il n'y a pas la moindre brise, ou plutôt à cause du noir que l'on broie jour après jour, à espérer un changement de situation, à mourir à petit feu, pour certains de chaleur, pour d'autres d'ennui...

Le goût du Sri Lanka nous venait de loin. D'un petit resto à Londres, il y a bien vingt ans, où l'ambiance et la cuisine nous avait séduit. Cela devait se passer peu de temps après la rupture d'avec la Grande-Bretagne et le nom de cette nouvelle république, appelée Ceylan jusqu'en 1972, se grava dans notre mémoire.

Après 30 jours de mer, le spectacle que nous dévoilèrent les premières lueurs de l'aube devant le port de Galle était celui d'un autre âge, d'un peuple pauvre (selon nos critères) mais dont chaque dent blanche du sourire éclaté de ses enfants valait un million de dollars. Cette ancienne ville fortifiée était baignée de rose et dansait déjà dans l'air tropical.

"Venez voir sur le pont, c'est une image des Milles et Une Nuits" dit Carl aux enfants encore endormis. Nous étions gênés, mal à l'aise, anachroniques parmi ces centaines de pêcheurs silencieux, accroupis dans leur tronc d'abre creusés à la main.

Nos enfants tendent aujourd'hui une toute autre oreille quand ils entendent parler du tiers-monde. Ils se revoient à la table d'un boui-boui cinghalais où l'on s'empiffre copieusement à six pour l'équivalent de deux dollars cinquante et ils revivent par l'imagination ces invitations faites par de parfaits inconnus chez qui la fête pouvait durer une semaine. Misère? Non. Seulement une autre vie, démunie du superflu mais riche de l'essentiel: la fraternité.

Le Sri Lanka est surtout une escale pour les voiliers qui empruntent la mer Rouge et rentrent en Europe. Notre itinéraire est choisi en vue d'un plus long séjour dans l'océan Indien et nous remettons le cap vers le sud. Échelonné dans un axe nord-sud sur plus de 400 milles, l'archipel des Maldives est le haut-lieu mondial de la plongée libre avec des fonds et une faune sous-marine à couper le souffle. C'est en même temps l'exemple d'un petit pays qui pratique admirablement la ségrégation du touriste.

Grâce à ses centaines d'atolls, dont quelques-uns seulement sont réservés aux ébats des visiteurs, les contacts avec la population musulmane sont parfaitement réglés. Cette politique devrait être plus répandue. Le tourisme est un phénomène relativement récent, mal contrôlé et qui s'est révélé aussi nocif dans certains coins du monde qu'une nappe de pétrole sur l'océan.

Dans notre plongée vers le sud allait se trouver une île, après bien d'autres, qui fût sinon la réponse à notre quête du moins l'escale exceptionnelle. Nous ne vous dirons rien de ses degrés de latitude et longitude. Jouons plutôt à la dégustation aveugle. Comme avec la bouteille de vin dont on masque l'étiquette et qu'on doit identifier au goût seulement, nous vous demandons de tenter votre chance. Voici quelques indices.

Personne de l'équipage ne connaissait son existence jusqu'au jour où, dans une librairie de Tahiti, notre attention fût attirée par le titre d'un livre de Le Clézio. Nous n'étions même pas sûrs de pouvoir y arriver tellement il fallait remonter le vent de façon très serrée. Pendant sept jours le temps fût épouvantable. C'était une main pour soi et une main pour le plat de riz dans cet atmosphère de machine à laver où la mer nous purifiait pour nos vieux péchés. Elle déferlait sur le pont comme sur un récif écumant et nous tapions contre des murailles d'eau à plus de 8 noeuds avec des voiles grandes comme deux mouchoirs: 40-45 noeuds de vent, rafales à 50-55... Puis soudain, à l'aube du huitième jour, la mer entière se métamorphosa. D'hostile, elle devint souriante comme pour se faire pardonner sa colère. La V'limeuse prit alors son élan et dans un sprint "contre la montre", embouqua la passe du lagon juste avant la nuit.

Parler de cette île, c'est raconter toute la tendresse du monde, celui où les hommes s'embrassent sur la bouche et où l'on repart d'une hutte les bras chargés de cadeaux... C'est aussi entendre toute la poésie de ces insulaires, descendants d'anciens esclaves, à travers leur suave langue créole. Les enfants disparurent, enlevés par la population. Damien passa ses jours et ses nuits au large avec les pêcheurs du village. Et quand, un mois plus tard, l'heure fatidique de larguer les amarres arriva, chacun fit un pacte secret avec lui-même... celui de revenir un jour.

 

 

5e année: octobre 1990 - octobre 1991

Madagascar - Afrique du Sud: 1 700 millesnautiques.

 

"Comment faisiez-vous pour vivre?" Sous-entendu: "Vous devez être plein aux as pour faire pareil voyage!" Holà! on se calme, comme dirait notre aînée.

Il y a ceux qui posent la question mais n'attendent pas de réponse. Ils cherchent d'avance à se convaincre que cette vie n'est pas de leur ressort financier. Pour en arriver là, ils confondent deux choses très importantes: leurs vacances et notre mode de vie. Autrement dit, ils évaluent le coût de notre voyage en transposant sur six ans les frais de leur séjour d'un mois en Floride (hôtel, restos et location de voiture inclus). Et là, bien sûr, on se retrouve avec un budget faramineux et le dialogue n'est plus possible. C'est un appel de détresse lancé par d'éternels rêveurs.

Il y a ceux aussi qui ne sont pas familiers avec ce milieu des bohémiens et qui s'interrogent sincèrement sur les moyens et façons de financer un voyage d'une telle envergure. Ce qui était indiscrétion dans le premier cas devient dans le second un besoin d'information. Laissez-nous seulement jeter l'ancre dans le port de Tamatave, côte est de Madagascar. Cette escale est propice pour ce que nous vous apprendrons sur l'économie du bord.

De toutes les façons de gagner sa croûte en cours de route, l'art du commerce et du troc est la plus ancienne et la plus passionnante. Si le troc n'avait plus de secret pour nous après notre long séjour dans les îles du Pacifique où l'on échange encore volontiers un tee-shirt pour un panier de fruits, c'est sur "la route des Indes" aussi nommée "route des épices" que les transactions d'achat et de revente prirent une allure de croisière.

Le pays malgache, pauvre mais regorgeant de richesse naturelle, nous offrait l'une des dernières belles opportunités d'obtenir certains produits locaux à des prix incroyables. À condition toutefois de pouvoir supporter la cohue et le bruit du zuma, gigantesque marché du vendredi qui s'étalait à ciel ouvert dans les rues de Tananarive, la capitale. Fallait-il de plus être en mesure de se déplacer à travers le pays, dans ces taxis-brousse déglingués où l'on sait quand on part mais jamais quand on arrive.

Notre passage à l'île française de la Réunion avait permis aux enfants de vendre les bracelets du Sri Lanka et les boucles d'oreille de Bali. Ils étaient prêts maintenant à réinvestir leurs profits. Durant les mois qui suivirent, la V'limeuse, telle une fille des îles, sentit bon le girofle et la vanille... jusqu'en Martinique où les épices valaient entre 10 et 25 fois le prix payé!

Nous avons pratiqué cet art en dilettante, moins pour chercher fortune que pour assurer le pain sur la table et donner aux enfants leurs premières notion de négoce. Mais nous savons, pour les avoir rencontrés, que de nombreux bateaux s'y adonnent de façon permanente et professionnelle et s'en tirent confortablement.

Sans toutefois vouloir vider la question, il existe bien d'autres façons de financer un voyage. Pour certains, ce sera l'arrêt prolongé et le travail sur place, au noir ou officiel. D'autres choisiront les passagers payants. Quant à nous, la photo et l'écriture nous convenaient mieux que le marteau, bien qu'à l'occasion et devant une offre alléchante nous pouvions grimper sur un toit.

Fort-Dauphin, 35 noeuds de vent. C'est la nuit et la V'limeuse tire à grands coups sur sa chaîne. La houle entre dans ce petit port mal abrité. Personne ne dort. Comment fermer l'oeil avec cette angoisse de l'ancre qui dérape et du bateau dérivant sur les cailloux. Depuis notre arrivée, le vent souffle sans relâche, accélérant sa course en tournant le cap Sainte-Marie, extrémité sud-est de Madagascar. Nous devons partir vers l'Afrique du Sud mais le courage nous manque. Nous ressentons une grande fatigue soudaine qui déclenche des peurs inhabituelles. Il y a de ces moments dans la vie où l'on a l'impression très désagréable d'être arrivés au bout du rouleau et de se sentir pris au piège au fond d'un port. Pourquoi maintenant? Pourquoi ici plus qu'ailleurs? Nous avons pourtant échappé au pire: pas de crises de paludisme, ou malaria, aucun accident de plongée, aucune maladie plus grave qu'une grippe ou qu'une occasionnelle déshydratation physique et psychique, nos organismes semblent tout à coup vidés. La chaleur et la surpopulation de certains coins visités expliquent en partie cet état de lassitude mais il y a aussi la lourde responsabilité d'élever quotidiennement une famille dans des conditions hors du commun. Cette nuit, pour la première fois depuis le départ, nous rêvons du retour chez nous.

Le baromètre n'a jamais autant été consulté. Ici, le long de la côte est d'Afrique du Sud, il est plus précieux que tous les instruments électroniques réunis. C'est lui qui dicte la navigation. Dominique n'arrête pas de le tapoter. Carl crie par la descente du cockpit: "Ça grimpe?" Pas encore, mais ça va venir. Ça, nous le savons bien. La saute de vent est incroyablement réglée comme une minuterie. Baromètre en baisse: vents modérés du nord-est. Cela donne exactement 3 jours pour faire du sud puisque nous passer le Cap de Bonne-Espérance. Calme soudain et baro en hausse: c'est le sud-ouest carabiné qui va se lever, droit dans l'étrave et contre le courant. Il faut agir vite et il n'y a pas 56 solutions. Si on ne peut gagner rapidement un abri, il faut soit s'approcher à raser la côte, soit filer loin au large mais éviter à tout prix la zone dangereuse, celle où ce courant du Mozambique atteint sa plus haute vitesse, trois noeuds solides, et où les fonds provoquent des gouffres gigantesques sur lesquels les grands cargos se désolidarisent. En l'espace de deux mois, un paquebot a coulé et deux pétroliers géants de 500 000 tonnes sont arrivés à Cape Town comme s'ils s'étaient frappés face à face.

Mais un dérèglement des conditions de vent est toujours possible. Nous en avons fait l'expérience et l'un des plus redoutables caps au monde fût passé tranquillement au moteur! Nous étions rendus maintenant à la ville du Cap, d'où nous ne repartirions que neuf mois plus tard. Le climat et le décor nous plûrent instantanément. Dans ce coin du pays, nous étions bien loin des tensions raciales qui sévissent dans les provinces du nord.

 

 

6e année:   octobre 1991 - octobre 1992

 Afrique du Sud - Montréal: 7 500 milles nautiques

 

La pire des journées d'hiver à Cape Town (juillet, août, septembre) égale nos plus belles journées d'octobre ici au Québec et leur plus mauvais vin là-bas... Bon! Vous avez compris. Là où ces Blancs, descendants de Huguenots français et de colons hollandais pour la majorité, n'excellent pas, c'est en relations internationales. S'ils avaient été le moindrement habiles et avaient, par exemple, appliqué comme les Américains la politique du "fair play", c'est à dire donner en apparence l'égalité des droits pour tout le monde, la situation ne serait pas pire que dans certains États du sud américain: Alabama, Texas, etc. Autrement dit, le racisme existe chez nos voisins mais ils ne sont pas allés faire la connerie monumentale de créer une loi de différenciation des races, appelée apartheid, et de refuser le droit de vote aux Noirs. Ajoutez à cela que ces derniers, contrairement à leurs cousins américains, vivent encore la guerre féroce des tribus et vous comprendrez pourquoi les actualités d'Afrique du Sud traversent si bien l'écran et nous éclaboussent.

Noël approche. Cape Town est une quinzaine de jours derrière et les vents sont toujours faibles. Nous ajoutons un record à notre palmarès. Le spinnaker est porté quatre jours et 4 nuits d'affilées dans une tentative désespérée d'atteindre Sainte-Hélène avant Noël. C'est raté pour le réveillon, mais à temps pour la dinde du midi. Cette île est bien plus que la terre d'exil de Napoléon et ses insulaires extraordinaires nous font partager leur repas de famille. "Prenez des forces, disent-ils, vous en aurez besoin." Ils avaient raison. Les vélos de montagne n'avaient pas assez de 21 vitesses et nous de nos deux jambes dans ce décor où tout ce qui descend très vite doit longtemps remonter. Un autre endroit de rêve. Ils ont été nombreux dans ce voyage. Mais jamais l'idée de nous établir ailleurs est venue effleurer notre esprit. Comme Carl l'écrivait à sa vieille mère qui désespérait souvent de nous revoir au cours de cette longue absence: "Certaines escales sont plus belles, mais toutes doivent nous laisser repartir!" Triste, mais c'est comme ça. Quelque chose comme l'instinct du saumon qui nous ramène à notre rivière.

Notre navigation, qui jusqu'à ce jour n'avait pas vécu de pépins majeurs, fût compromise à quelque centaines de milles des côtes brésiliennes. Un début d'incendie dans le compartiment moteur apparût comme une sévère mise en garde sur la sécurité à bord. Nous avions bien des extincteurs, mais pas de masques à gaz pour respirer dans cette fumée âcre et dense qui se dégageait de la mousse isolante.

"Noémie! C'est ton quart." Dur, dur, à dix ans, de se lever avant l'aube surtout qu'à l'approche du Banc Georges, on s'attendrait presque à voir des icebergs surgir de la brume tellement l'air est glacial. Fini le bon temps où l'on arrivait dehors en bédaine. Un petit coup d'oeil sur la carte de l'Atlantique Nord. Boston n'est plus qu'à une centaine de milles. Noémie soupire, ajuste les écouteurs de son walkman par dessus sa tuque et sort prendre la relève. Deux heures de barre! Où, seule dans la nuit, en plus de guider la V'limeuse sur la crête des vagues, elle aura tout le temps de penser à elle et de s'interroger sur le retour.

Les classes du pont avant s'achèvent. Ce qu'ils apprirent des poissons-volants et de leur envol prepétuel pour échapper à l'attaque des prédateurs fût une grande leçon de vie. Si l'enfance est bien cet immense réservoir de références où l'on vient puiser tout au long d'une vie, alors ils auront accumulé suffisement d'expériences pour les aider à traverser le pire. Sauront-ils s'adapter? La question nous a toujours fait sourire. S'adapter à quoi? Aux exigences d'une situation nouvelle? C'est là un domaine où ils excellent. Aux petites misères de la vie en société?... Et bien là, peut-être est-ce une bonne chose qu'au fond d'eux-même il y ait cette conscience d'autres choix possibles et d'une responsabilité face à sa propre destinée.

Le voyage se termine. Nous avons été de bons ambassadeurs à l'étranger. Le drapeau à fleurs de lys fut salué tout au long de la route. S'il n'était pas toujours identifié, nous avions alors l'occasion de vanter notre race. Mais comme on n'est jamais prophète dans son pays, notre tentative d'accostage aux quais de Montréal fût un triste moement. La Société du Vieux-Port veillait au "grain" ou de ce qui reste de ces anciens silos. Dans cet univers de béton où nous cherchions en vain l'alternative aux dispendieux pontons flottants, on nous relança nos amarres successivement d'un quai à l'autre. Un peu de jaune aurait pourtant égayé toute cette grisaille trop vide. L'âme d'un port n'est-elle pas, après tout, comme écrivait Beaudelaire, liée à ces bateaux dont l'humeur est vagabonde et qui, pour assouvir votre moindre désir, arrivent du bout du monde...

(Article paru (au Québec) en trois parties dans le quotidien La Presse, les 10, 11 et 13 octobre 1992. ©Carl Mailhot et Dominique Manny)

 

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